Mais de quoi ont-ils peur ?
Je suis née dans une famille hétérosexuelle, avec un papa et une maman, une sœur, un frère, une famille d’un classicisme irréprochable. Je suis allée à l’école catholique et publique pour y recevoir un enseignement plutôt hétérosexué, où l’on m’a d’office collée en travaux pratiques couture et atelier cuisine pendant que je plaignais mes petits camarades garçons ballotés de stages sportifs pluvieux en soutiens techno bruyants. Très tôt et afin de parfaire mon éducation, on m’a envoyée suivre les cours de catéchisme chez une dame qui, à la fin de l’heure formatrice, nous distribuait une part du gâteau mis au four en début de séance que nous dévorions dans un religieux silence parsemé de quelques fous rires bien innocents.
Adolescente, j’ai de moi-même poursuivi ma quête spirituelle à l’aumônerie où je suis partie à la recherche du sens de Dieu et du rôle de la Grande et Sainte Mère l’Eglise Catholique. J’y ai admis, sans aucune frustration, que je ne pouvais pas servir à la messe mais devais laisser cette prérogative aux trois seuls petits garçons dont j’admirai la constance de s’y coller chaque dimanche. Mes années de collège furent des années heureuses où je m’essayais à l’art de la séduction jetant dans mes filets de jeune tentatrice les trois plus beaux coquelets de ma promotion dont les baisers duveteux et tout juste post-pubères me laissaient un joyeux goût de salive testostéronée, caractérisée par une hygiène buccale douteuse. J’ai appris l’Histoire de France, celle des Rois, des Empereurs, des grands guerriers, des soldats, sans m’émouvoir plus que cela d’un manque cruel d’icônes féminines, tout juste réduites à l’embrasement d’une Jeanne d’Arc et au fait que Marie Curie avait été une assistance parfaite pour son génie de mari. Enfin, pour me récompenser de mon assiduité, j’ai été admise au saint des saints, l’un des plus brillants et renommés lycées de France, dont l’une des moindres caractéristiques était d’être non mixte, quand les garçons allaient eux dans l’autre lycée qui leur était réservé, quelques rues plus loin, ce qui n’était pas bien grave et permettait à chacun d’être à son aise dans les vestiaires.
Bref, née fille, grandie dans un univers bien hétérosexuel, ayant reçu une bonne éducation catholique tout autant que laïque, je fus amenée tout gentiment, au final de mes jeunes années d’apprentissage, à des fiançailles comme il se doit avec un bel hidalgo de la grande bourgeoisie. Ma vie se présentait telle que celle qu'on m'avait enseignée, dans une norme hétérosexuelle bien formatée. J’aurais donc échappé à ce cataclysme apocalyptique, cette fumeuse, pardon, fameuse « théorie du genre » que l’école d’aujourd’hui semblerait vouloir diffuser au creux de l’âme fragile de nos chères petites têtes blondes pour leur faire accroire qu’une petite fille peut devenir petit garçon et qu’elle aura donc droit de se masturber dès l’âge de trois ans grâce à un mode d’emploi qui lui sera remis par l’éducation nationale.
J’aurais donc échappé à tout cela…
Et pourtant, et pourtant… Sans que l’on ne m’ait rien dit, rien enseigné, rien inculqué, sans image, sans comparatif, sans même me masturber dès l’âge de trois ans, (enfin, je ne m'en souviens pas), je suis malgré tout devenue, toute seule et comme une grande : lesbienne, agnostique, et fière d’appartenir à ce sexe dit faible, sans doute, mais ô combien sensible ! Et pourtant, et pourtant... rien ne m’y prédestinait, personne ne m’y a poussé, et sûrement rien dans mon éducation ne m’y a forgé. Et pourtant, et pourtant... c'est bien ce que je suis aujourd'hui.
Alors j’aimerai qu’on m’explique comment et en quoi quelques heures par çi par là vont pervertir la destinée de nos tendres enfants et leur faire croire irrémédiablement que les sexes sont interchangeables et que si, petit garçon, on s’émeut du profil d’une poupée, on deviendra obligatoirement une grande folle pendant que sa petite sœur, elle, les mains noires de cambouis, ouvrira un garage de réparation automobile. Ce qui de toute évidence ne serait pas un problème si chacun et chacune y trouve sa joie.
Non Madame, non Monsieur, si votre garçon est gay, si votre fille préfère les femmes, ce ne sera pas la faute à l’éducation nationale ni même à la vôtre, mais juste qu’avec son libre-arbitre, sa propre conscience, et dans l’écoute de ses sens, de son corps, de son âme, votre enfant aura choisi la liberté d’aimer qui il veut.
Et vous savez quoi ? Alors ce sera à vous d’en être fier.