Fable pas affable

Publié le par M.T

C’est l’histoire d’une cruche. Pas bien belle, pas très remarquable, pas vraiment moche mais qui, comme toute cruche, n’a qu’une seule utilité, contenir de l’eau. Vous voyez le dessin, un truc sans style, pas racé pour deux sous mais qui veut se donner des airs à la Ming, dans un faux décor trop bleu, trop lourd. Si encore elle était pratique, mais non ! L’anse trop étroite la rend difficilement préhensible et son col trop large fait que généralement, l’eau dégouline une fois sur deux à côté du verre. Mais bon, c’est une cruche et quand on a besoin d’eau à table, ça sert toujours.

 

Seulement c’est une cruche qui de terre cuite se pense en cristal, d’une silhouette banale se croie aérienne, et finit par prendre ses fioritures grossières pour la plus délicate des décorations. Bref, c’est une cruche qui emmerde le peuple en se donnant des airs de carafe raffinée et voudrait s’exhiber sur la dentelle des nappes les plus royales alors qu’elle agrémente difficilement la moins laide des toiles cirées. En fait, c’est une cruche qu’on a achetée comme ça, sans vraiment comparer, en se disant que justement on en manquait, et que celle-là en valait bien une autre.

 

Et puis un jour, on veut s’en débarrasser. On profite d’une brocante ou, parce qu’on est sentimentale,  on la donne à une amie qui justement en avait besoin. C’est vrai, on ne voulait pas la jeter. Après tout, si ça peut servir à quelqu’un d’autre… Et d’un bon débarras on fait une bonne action ! Jusqu’au jour où on se rend compte que la cruche d’objet inanimé avait donc bien une âme et revient alors vous hanter.

 

Vous qui pensiez vous en être enfin débarrassée, vous la retrouvez subitement par un beau matin sur la table extérieure de votre jardin. Vous n’y croyez pas de suite et envisagez d’abord l’hallucination. Parfois cela arrive. La nature est ainsi faite qu’elle vous met devant les yeux des images qui ne sont que dans votre tête, comme un reflet, une projection, une photo qui passe directement de votre téléphone à votre ordi via son nuage. Sauf que là, la cruche est bien présente.

 

Vous sortez, intriguée, et vous ne pouvez que constater le prodige, la cruche est revenue et trône avec ostentation au beau milieu de la table. Là vous vous dites que peut-être votre amie, celle à qui vous l’aviez transmise, a eu un remord et que subrepticement pendant la nuit, elle est venue vous la rendre. Là, n’allant pas jusqu’à vous réveiller en pleine nuit, elle a déposé le dit objet dans votre jardin en se disant que vous la reconnaîtriez forcément et que par habitude, vous la reprendriez. Mais tel est rarement le cas. Une cruche, une fois qu’on l’a laissé derrière soi, on ne veut surtout pas la récupérer. Et puis pourquoi faire ? Pour continuer à tremper la nappe dès qu’on verse ? On en veut un peu à l’amie limite un peu lâche, mais comme on est brave fille, on se dit qu’on redonnera la cruche à son voisin qui ne tardera pas à passer par là en vous faisant un grand bonjour. Il repartira avec le corps du délit et vous vous en resterez là.

 

Et bien non.

 

Les cruches détestent qu’on les abandonne. Elles ont bien trop d’amour propre pour laisser passer l’offense infligée. Et une cruche fâchée, est une cruche qui se venge. Et là, croyez-moi, vous qui vouliez bien faire les choses et qui partiez d’un bon sentiment, celui de ne pas jeter la cruche mais lui laisser l’opportunité d’une autre vie, vous allez regretter amèrement votre bonté. Car une cruche qui se venge, c’est terrible.

 

Ca commence insidieusement en vous faisant croire que tout va bien se passer et que jamais, au grand jamais, elle ne vous en voudra d’avoir ainsi agi. C’est vrai après tout, vous auriez pu tout simplement la jeter sans un regard dans les détritus où la laisser traîner devant votre maison un jour de ramassage d’encombrants. Pire, vous auriez même pu acheter une autre cruche et vous en servir devant elle ! Mais non, vous avez voulu bien faire en lui cherchant un nouveau logis et pensiez sincèrement qu’avec un peu de temps, sans aller jusqu’à vous en savoir gré, la cruche reconnaîtrait que vous n’étiez pas fait pour rester ensemble toute une vie et qu’une bonne rupture apporte certainement plus qu’une mauvaise relation bancale. Mais il n’en est rien. Et la cruche tapie n’attend que son heure pour frapper.

 

Ca commence après un voyage où vous avez flâné, béate, après de petites douceurs, peut-être un peu naïvement, en pensant que quand on fait bien les choses dans sa vie, pour soi, pour les autres, il n’y a pas de raison d’en pâtir et qu’au contraire, le bonheur finit toujours par être le plus fort et pour tous. Cela pourrait être juste de penser cela jusqu’au moment où vous vous rendez compte que la clé avec laquelle vous avez fermé votre maison ne l’ouvre plus. Impossible, vous avez beau essayer, le barillet reste ostensiblement bloqué. Et c’est là où vous l’apercevez. La cruche. Celle qui se trouvait encore avant votre départ sur la table de la terrasse trône maintenant au beau milieu de votre cuisine. Elle est à l’intérieur quand vous, vous restez dehors. Et là, vous avez beau frapper, appeler, négocier, apitoyer, atermoyer, solliciter, crier, rien n’y fait, la cruche ne vous ouvre pas. Au contraire, elle vous nargue. Et vous, vous ne comprenez pas pourquoi.

 

Je ne dis pas qu’au début vous ne luttez pas, bien sûr, mais très vite vous comprenez que vous n’êtes pas en position de force. Et non. Vous êtes sous le vent, le froid, la pluie, la neige quand la cruche est passée de la table au fauteuil et qu’elle vous regarde maintenant en ricanant de son côté ébréché, emmitouflée dans votre propre plaid en polaire. La salope ! Elle vous a bien eu ! Et vous comprenez vite que rien n’y fera et qu’elle restera là.

 

Oui bien sûr, vous pourriez défoncer la porte, casser une vitre mais vous n’en faites rien car vous êtes surpris, tout simplement, et atterré de ce comportement que vous ne comprenez pas et qui vous semble d’une injustice fatale. C’est vrai quoi. C’est vous qui êtes allée la chercher cette cruche dans son magasin de cococheries où elle prenait la poussière et n’avait d’autre espoir que de finir dans les mains d’un inculte qui l’aurait bousculée, cul par dessus tête, un soir de beuverie, alors qu’elle aurait noyé son énième anisette. Fracassée contre le mur la cruche qu’elle aurait été ! Emiettée, pulvérisée, elle aurait alors fini, dans le meilleur des cas, au fond d’un pot de terre cuite dont elle aurait bouché le trou d’évacuation avant d’être recouverte elle-même de terreau et croupir chatouillée par des racines envahissantes et nauséabondes. Et vous qui lui avez fait échapper à ce funeste destin, vous n’en recevez aucune gratitude, rien, niet, nada. Et la cruche de vous faire un doigt d’honneur à travers la vitre.

 

Alors vous partez, la mort dans l’âme, en vous disant que vraiment, ce n’est pas parce que vous avez décidé de vous en séparer que vous méritiez cela. C’est vrai, elle oublie un peu vite, la cruche, qu’elle n’était pas spécialement la meilleure des cruches et que votre bonté a duré suffisamment d’années pour vous dédouaner de recevoir pareil outrage. Et l’amie, là, elle pouvait pas la garder avec elle cette cruche ?! au lieu de la renvoyer dans ses cordes attisée par la jalousie amère de celle qui découvre que ce n’est pas en enfilant le vêtement des autres qu’on devient comme eux. A peine leur ressemble-t-on, dans le meilleur des cas. Mais de loin, de dos, et certainement pas dans la flamboyance et la grandeur d’âme. Non, on a juste la petitesse de sa propre rancœur. Mais une cruche, ça ne pense pas à tout cela, ça veut juste vous abattre et devenir, en s’appropriant votre être, la reine de ces lieux. Sauf que ça reste une cruche.

 

Alors le temps passe. Vous finissez par comprendre que jamais elle ne se calmera ni ne s’adoucira et qu’il est vain d’attendre qu’elle soit traversée par un subtil rayon d’intelligence qui lui ferait comprendre qu’une cruche enfermée dans une maison, refusant tout net son passé, opposant l’amertume à la bienveillance et la vengeance au pardon, n’a aucune chance de s’en sortir. Et la cruche s’enferre de plus en plus dans sa hargne et sa stupidité. Vous la voyez, à travers la vitre se dessécher, éructer dans le silence d’une maison entre temps morte faute de soin, son col se ridant, son anse retombant, molle et sans but, pendant qu’elle se tape le cul au sol dans des crises d’hystérie de plus en plus fréquentes. Vous en auriez presque mal pour elle si elle avait toléré, de vous, la plus simple des émotions, celle de l’empathie. Mais la cruche n’en a eu cure pensant bien malhabilement qu’elle se devait de vous anéantir pour enfin elle commencer à vivre.

 

Finalement, il arrive ce qui doit arriver, parce que c’est l’ordre des choses et qu’on ne secoue pas la justice dans tous les sens en croyant l’étourdir et la tromper indéfiniment.

 

Ainsi, la cruche, passablement fêlée, finit-elle par se casser.

 

 

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